Le 10 décembre 2012, quatre affiches font leur apparition dans les rues parisiennes. Du blanc au noir, en passant par le rose, elles déclinent les métiers de la Maison Lenôtre. A travers ces natures mortes contemporaines, l’esprit inspiré d’une marque s’incarne.
Natures mortes, la mise en scène du savoir-faire
La série de photos réalisées pour Lenôtre par Peter Lippmann, spécialiste incontesté de la nature morte, relève d’une facture on ne peut plus classique. Fond monochrome qui permet de faire ressortir la toque et les subtiles réalisations gastronomiques ; arrière-plan sans profondeur qui confère aux objets relief et densité ; effet lumineux du fond qui les sublime à la manière d’une vitrine, d’un écrin. Dans ce dispositif, l’assiette et le plat sont remplacés par des présentoirs luxueux : conque ouvragée, structure de pièce montée, morceaux de charbon et de chocolat détournés et transformés en socles bruts.
Elégance, sophistication, raffinement, cette agrégation décorative de produits nous projette directement dans un univers, celui des grandes tables bourgeoises. Point de surabondance de produits ici. Plutôt un minimalisme de bon aloi, bien actuel, au service de créations qui flirtent avec l’artistique. Ces natures mortes d’apparat rappellent explicitement la place prédominante que la marque Lenôtre occupe aujourd’hui dans le monde de la gastronomie de luxe.
Elément commun aux quatre visuels, la toque suggère une présence humaine pourtant absente. Si elle désigne un corps de métier spécifique, elle renvoie aussi à la distinction du maître cuisinier reconnu par ses pairs (l’excellence gastronomique est récompensée par la toque d’argent). En remplaçant le tout par la partie, le génie humain par la toque, l’affiche se pique de rhétorique. Variante de la métonymie, la synecdoque choisit la tête du créateur, et non les mains de l’artisan, pour condenser l’individu. La tête, comme lieu de l’inspiration, de l’inventivité, du jugement capable de combiner, d’arranger pour parvenir au chef-d’oeuvre. La tête comme évocation du fondateur Gaston Lenôtre coiffé de la toque en guise d’attribut notable.
Comme chez les maîtres anciens, les objets figés par ces clichés photographiques possèdent une fonction allégorique. Coiffée d’une toque, chaque composition gourmande personnifie la marque : une tête sur un corps, unifiés par la couleur et la dynamique verticale. Des natures mortes pour portraits, comme autant de facettes différentes d’une même entité déclinées au bas de la photo : chocolatier-confiseur, pâtissier, traiteur et créateur d’événements, pâtissier et créateur d’événements.
De l’apparition enchantée au récit cosmogonique
Loin de s’arrêter à la représentation d’objets inanimés, ces affiches insufflent un dynamisme qui provient incontestablement de la toque. Comme suspendue dans les airs, elle semble animée de vie. Le jeu de lumière pourrait pratiquement s’interpréter comme la matérialisation de l’acte créatif. Comme si une lumière surnaturelle en émanait, propre à faire apparaître sous nos yeux éblouis des merveilles. Toque de cuisinier aux allures de haut de forme de magicien. Lenôtre nous invite à un tour de prestidigitation qui suscite l’enthousiasme du public. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les diagonales se croisent essentiellement sur le vide, ce rien entre la toque et la création gourmande qui abrite le miracle du génie culinaire. Face à ce jeu d’apparitions offertes par un chapeau enchanté, une réaction unanime sous forme de cri. L’interjection exclamative «Oooh !» ne dit pas autre chose que cet émerveillement où la parole se dérobe.
Chez Lenôtre, à regarder de près, la lumière provient du dehors, de cet hors-champ qui pourrait symboliser cette inspiration venue d’ailleurs. Elle introduit une dynamique descendante porteuse d’une chronologique narrative. Inexplicable, pour ne pas dire divin, un don frappe le génie représenté par la toque. Et comme le génie doit se manifester aux autres, c’est dans l’acte gastronomique créatif qu’il se matérialise. Figure tutélaire, génie fondateur, Gaston Lenôtre pourrait bien être l’absent présent de cette campagne. Avec son nom, il créa un univers devenu une institution. Quoique espiègle dans ses décalages, la typographie du nom privilégie les capitales et empattements propres à traduire la stabilité. Comment ne pas interpréter le bandeau noir de chaque affiche comme un socle immuable, celui de la marque qui se perpétue après la disparition de son créateur ?
En empruntant les codes de la peinture religieuse, cette campagne joue des effets de clair-obscur : l’intrusion divine se signale par le rai de lumière. Plus qu’un hommage implicite rendu au fondateur, c’est bien à un récit des origines que nous convie cette campagne. Comment ne pas être interpellé par ces oursins qui représentent le métier de traiteur ? Assimilés depuis toujours à l’oeuf cosmique, au principe de vie, ils ne figurent pas là par hasard, d’autant qu’ils vont par deux. Et comment ne pas voir derrière cette conque le symbole de la création ? Le génie de Lenôtre s’affiche ouvertement et pour la première fois. La marque, en train de se repositionner, écrit une nouvelle étape de son histoire, celle de son incarnation publicitaire.