Sémiosine

Féminités & masculinités, la question du regard au coeur du message #1

Dans le cadre de nos recherches sur les leviers opérationnels pour repenser les représentations des féminités et des masculinités post #MeToo, nous interrogeons la question du regard, en particulier celui du/de la photographe, dans la construction de stéréotypes culturels genrés voire sexistes. Pour débuter cette série d’entretiens, Noémi Micheau, photographe et consultante en social media, a accepté de répondre à nos questions. 

Quel est ton parcours photographique et quelles sont tes influences, tes sources d’inspirations ?

J’ai reçu un appareil photo pour mes dix ans, je crois, et, depuis, je n’ai jamais arrêté de faire des photos. Au lycée, j’ai fait un bac Cinéma, et j’ai suivi des cours de photo en parallèle. À cette époque, je ne faisais que de l’argentique, je développais mes films et faisais aussi les tirages. J’adorais ça. J’ai commencé à photographier les concerts auxquels j’assistais, je travaillais pour un magazine de musique. C’est assez drôle quand j’y repense, car j’avais le vieux Minolta de ma mère avec juste une focale fixe, un 50mm. J’étais largement sous équipée par rapport aux vieux routiers que je croisais dans les salles et sur les festivals. C’était le début du numérique. Mais je suis toujours assez fière de certaines de ces vieilles photos. Tout cela m’a formée pour la suite.

Je voulais être grand reporter, donc, après le bac, j’ai été à la fac en Information et Communication. Mais j’ai bifurqué dans la com à l’issue de mon Master. Je n’étais pas heureuse dans le boulot que je faisais, mais en agence, la chance que j’ai eue, c’est de pouvoir travailler pour la branche photo de Sony. Ça m’a poussée à me mettre au numérique et j’ai pu rencontrer des photographes que j’admire toujours comme Rémi Chapeaublanc ou Pauline Darley. Petit à petit, je me suis vraiment remise à la photo, plus particulièrement au portrait. Depuis deux ans, j’ai beaucoup développé cette activité pour en vivre aujourd’hui et quitter définitivement le monde de la com.

Concernant mes influences et inspirations, je n’ai jamais été branchée photo de mode par exemple et je n’ai pas une grande culture photo mis à part quelques portraitistes célèbres comme August Sander, Irving Penn ou Seydou Keïta… Donc mes influences viennent plus du cinéma, de l’art ou de l’architecture. Souvent, c’est un lieu qui va m’inspirer et je vais avoir envie d’y faire des portraits. Cette année, j’aimerais aller à plus d’expo pour me renouveler et progresser.

Comment qualifierais-tu ton travail de photographe et ton style aujourd’hui ? Dirais-tu que ton travail est féministe (je pense notamment au shooting que tu as réalisé pour la marque Minou Bonjour) ?

Je ne sais pas vraiment si mon travail est féministe. Je le suis en tout cas et je photographie surtout des femmes. Je ne veux pas les trahir en retouchant trop les photos, j’aime le naturel. Mais je déteste le prosélytisme, je ne suis pas une militante : je me force à toujours agir selon mes convictions mais ne souhaite pas les imposer. Je montre ma vision de la femme, qui est certainement féministe. C’était le cas avec Minou Bonjour car j’ai shooté des filles « normales » sans retoucher les aspérités de leur corps. Et on n’est tout simplement pas habitué à ça. De nombreuses marques se mettent à faire des shootings « inclusifs », on voit beaucoup plus de filles grosses en photo, et c’est bien. Mais je ne me sens toujours pas représentée dans la publicité. D’ailleurs c’est drôle car j’ai reçu beaucoup de messages me remerciant de montrer des filles « normales ». C’est la créatrice de la marque qu’il faut remercier car c’est elle qui a choisi les modèles parmi ses amies.

Enfin, concernant mon style, j’ai du mal à le définir car j’essaie de ne pas intellectualiser mes prises de vue. Sinon je n’arriverais à rien ! Je réfléchis aux ambiances que je veux, et ensuite j’essaie de laisser parler mon instinct.

 Qu’est-ce qui, selon toi, différencie un regard (photographique) féminin d’un regard masculin porté sur une femme et quelle féminité chacun d’eux construit ? J’ai par exemple remarqué que tu as photographié à plusieurs reprises Pauline Amelin : quel type de féminité incarne-t-elle pour toi ?

J’ai du mal à parler au nom de toutes les femmes… J’aurais tendance à dire que la vision de la femme sur la féminité est plus bienveillante mais c’est photographiée par des femmes que j’ai vécu mes pires expériences en tant que modèle ! Je projette donc ma manière de travailler ! D’autre part, je crois qu’il y a quelque chose de l’ordre du désir avec les hommes, certains angles de prises de vue. Le problème, c’est que ça a longtemps été la norme donc certaines femmes ne s’émancipent pas de cette vision et sont aussi dans l’érotisation du corps de la femme pour vendre ou faire du « like ». Très honnêtement, pour répondre à ta question, je ne sais pas si j’arriverais à différencier des photos prises par des hommes ou des femmes ! 

Enfin, concernant Pauline, elle fait partie effectivement des filles avec lesquelles j’adore travailler. Elle est comédienne et réalisatrice, ça joue beaucoup sur sa photogénie je pense. Elle est à la fois humble et rayonnante, et ça se voit en photo. C’est facile avec elle ! Tu as raison de la citer car elle correspond très bien au type de féminité que j’aime : une fille plutôt « normale », douce, intelligente, qui dégage une grande sérénité, tout en ayant confiance en elle et très solaire. Tout cela la rend belle. 

Le mouvement #MeToo a-t-il selon toi changé quelque chose à la manière de photographier les femmes ?

Je pense que oui, et particulièrement dans la manière de travailler avec les femmes. On n’entend plus vraiment parler de Terry Richardson et on voit de moins en moins de photos très sexuelles pour vendre, comme celles d’American Apparel par exemple. C’est en train de changer, on verra les répercussions dans les années qui viennent.

Question subsidiaire : pour quelle marque rêverais-tu de travailler et pourquoi ?

J’ai envie de continuer à travailler avec des marques qui partagent mes valeurs. Je n’ai pas forcément de rêve de collaboration. Je vais bien sûr continuer à faire des photographies « commerciales » pour vivre mais j’ai envie de développer en parallèle des séries plus artistiques. Mon rêve serait plutôt d’être exposée dans une galerie ! 

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