Comme il fallait s’y attendre, le dévoilement lundi 21 octobre 2019 du logo des Jeux Olympiques de Paris 2024 a donné lieu à un déferlement de commentaires sur les réseaux sociaux, qui se sont montrés particulièrement critiques, acerbes, ironiques.
A y regarder de plus près, hormis les sempiternels « j’aime pas », « c’est moche », « j’aurais fait mieux », « on a encore sollicité le stagiaire », pas mal de tweets pointaient indirectement le décalage entre les intentions des organisateurs des Jeux Olympiques, présentés dans un film aux allures de bande-annonce de blockbuster, et les évocations suscitées par le message en lui-même :
- Les intentions de la marque : un logo trois en un, révolutionnaire et sans tour Eiffel, combinant trois symboles forts – la médaille d’or, la flamme olympique, le visage de Marianne, pour proposer un logo aux traits féminins plaçant l’humain au centre, avec une touche d’art déco (pour le clin d’œil aux premiers et uniques JO de Paris de 1924).
- Les évocations réellement perçues par un grand nombre de tweetos : le doré de la médaille d’or renvoie aux couleurs olympiques de l’Asie ; le (flat) design du logo suggère au mieux un personnage de manga, au pire le pictogramme des applications de rencontre type Tinder ; la flamme olympique est très proche de la flamme utilisée par le RN dans son emblème politique ; Marianne, enfin, est invisible – on y verrait plutôt l’enseigne stylisée d’un salon de coiffure cheap et tout ce que cela véhicule d’un peu sexiste.
Cet écart entre l’intention et la perception nous a interpellés (pour ne pas dire amusés). Et la sémiologie, en se concentrant sur le message et rien d’autre (ni intention ni réception), est l’outil idéal pour révéler les décalages possibles entre un brief agence et le message réellement diffusé à des récepteurs partageant un imaginaire socio-culturel commun.
Et donc oui, bien entendu, on peut y voir :
- les éléments d’une identité visuelle de salon de coiffure ;
- une représentation stéréotypée de la femme (forcément blonde et la bouche en cœur) qui plus est sans regard, mais avec un feu intérieur envahissant (sic) ;
- et des éléments pouvant renvoyer à un univers asiatique (manga, couleur jaune utilisée par le JO pour désigner l’Asie)…
Mais une chose est impossible à retrouver ici : la figure de Marianne pourtant revendiquée dans l’argumentaire justifiant le logo. On a beau tourner celui-ci dans tous les sens, point de Marianne, et cela pour la simple raison qu’il ne suffit pas, pour connoter une Marianne, de représenter un visage de femme, sauf à considérer que toute femme est une Marianne qui s’ignore… En effet, ce qui fonde la figure symbolique de Marianne, c’est l’association a minima de deux signes : le genre féminin et l’un des symboles les plus emblématiques de la Révolution Française, à savoir le bonnet phrygien ou « bonnet de la liberté » : c’est par cet attribut essentiel que la République faite femme signale son émancipation pour devenir la Marianne. Autrement dit, si la Marianne est invisible dans cette figure féminine du logo des JO 2024, c’est parce que lui a été ôté rien de moins que le signe de sa libération…
De manière plus gênante encore, l’analyse fine des signifiants fait émerger une autre figure féminine symbolisant aussi et de manière concurrente la France, une autre femme derrière celle que l’on croyait représentée. Décomposons les éléments formels : le rond doré en forme d’auréole + la coupe au carré + les cheveux blonds + la flamme… Jeanne d’Arc (au bûcher) se cachait là, en creux. Et cela ne va pas sans poser problème. Car Jeanne d’Arc est en France, pour les Français, celle qui a chassé les Anglais hors de France avant de finir sur le bûcher. Jeanne d’Arc, c’est le symbole réactionnaire (et non pas révolutionnaire) d’une France ancrée dans ses traditions, tournée vers un mythe qui fleure davantage les origines catholiques de la France que celles laïques de la République. C’est celle qu’honorent tous les ans le RN (anciennement FN) et les groupuscules d’extrême droite. Normal, semble-t-il, qu’on y voie une similitude avec la flamme de ce même Rassemblement National.
Enfin, last but not least, quid des valeurs du sport et des jeux olympiques pourtant là aussi revendiquées par les organisateurs, mais en réalité totalement absentes de ce logo – à savoir l’ouverture, l’universalité, la rencontre des cultures, l’inclusion, le dynamisme ? On ne véhicule ici qu’une certaine idée de la France, une France centrée (fermée ? figée ?) sur elle-même, qui n’envisage le sport que sous l’angle de la compétition (la médaille d’or, bien présente) et du passé (la flamme, Jeanne d’Arc, l’art déco), et qui propose une vision sexualisée de LA femme (l’effet perruque, la flamme qui l’anime, la bouche à la Betty Boop, l’absence de regard), mais certainement pas une vision sportive du féminin. Pas même de corps ici, pas l’ombre d’un mouvement, la figure aveugle et muette est enclose dans son auréole…
Bref, à sous-estimer la puissance symbolique des signes, on finit non seulement par perdre ce qu’on voulait initialement dire, mais aussi par dire le contraire de ce qu’on avait l’intention de signifier – l’intemporalité des jeux, l’universalité du sport, l’empowerment féminin.
Gaëlle Pineda, Ophélie Hetzel, Nicolas Jung
Houla, beaucoup de phrases toutes faites.
Si vous le permettez, laissez-moi vous nourrir objectivement :
• « Les évocations réellement perçues par un grand nombre de tweetos … » Alors ça va vous paraitre incroyable mais twitter n’est pas le monde réel
Une rapide et simple recherche sur internet vous permettrons de trouver plusieurs études quanti & quali sur les différents opinions du logo :
https://www.visibrain.com/fr/blog/nouveau-logo-paris2024-qu-en-pensent-les-reseaux-sociaux/
https://sport24.lefigaro.fr/jeux-olympiques/jo-2024/fil-infos/le-logo-des-jeux-a-seduit-les-francais-sondage-978774
http://www.odoxa.fr/sondage/paris-2024-logo-moderne-beau-ne-represente-bien-ville-de-paris/
• « les éléments d’une identité visuelle de salon de coiffure ;… » Je cite Virginie Phulpin, éditorialiste chez Europe 1“c’est le visage d’une femme donc c’est un logo de coiffure, si ce logo pouvait changer les mentalités j’applaudit tout de suite”
https://www.europe1.fr/sport/edito-le-nouveau-logo-de-paris-2024-porte-les-valeurs-de-la-france-3926868
Je vous invite aussi à lire le communiqué de presse de la ligue des droits internationales des femmes (créée par Simone de Beauvoir) qui titrait « Mr Estanguet, Soyez à la hauteur de votre logo ! »
http://www.ldif.asso.fr/?theme=sport&n=962
Beaucoup d’associations féministe et LGBT ont encouragé ce logo, quelques rares féministes virtuellement activistes ont détourné son message pour des profits commerciaux / ego (un livre à vendre, un passage à la tv)
Mais il est vrai que sur C8, Cyril Hanouna, BFM et Valeurs Actuelles partagent votre opinion
https://www.valeursactuelles.com/societe/sexisme-tinder-salon-destheticienne-le-bad-buzz-du-logo-des-jo-2024-112077
• « Mais une chose est impossible à retrouver ici : la figure de Marianne pourtant revendiquée dans l’argumentaire justifiant le logo. » Je suis plutôt d’accord avec vous, j’ai du mal à voir Marianne, et puis je ne suis pas très à l’aise avec la conjugaison de ce symbole étatique avec les valeurs olympiques universelles. Je préfère nettement la vision d’une parisienne, qui comme le dit Amélie Nothomb est une légende, et sa coupe à la garçonne symbole d’émancipation, encore une fois je partage le point de vue de l’éditorialiste Virginie Phulpin.
• « le rond doré en forme d’auréole + la coupe au carré + les cheveux blonds + la flamme… Jeanne d’Arc (au bûcher) » Je veux l’adresse de votre dealer tout de suite !
De manière plus global, je trouve son emblème réussi non pas par son style, ses couleurs ou sa forme, tout cela est très subjectif, mais tout simplement parce que c’est un emblème féminin dans un milieu connoté masculin.
Il suffit de voir l’image du sport dans le monde… ce sont principalement des hommes !
https://www.google.com/search?q=sport+advertising&sxsrf=ALeKk01YiDUsnWNGibrlTQ6ezvOBe0VKEg:1606381743675&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwjj-tGp7p_tAhWM5OAKHR_fBooQ_AUoAXoECAQQAw&biw=1357&bih=862
Pour autant la participation féminine aux JO se rapproche de 50% (45%en 2016 à RIO), Il y aura peut-être plus de participation féminine à Paris 2024. Je crois que ce logo a la volonté de montrer une nouvelle réalité du sport autours d’une femme / flamme olympique qui n’est en fait qu’une nouvelle allégorie du sport, de la même manière qu’une femme représente de manière allégorique la justice, la liberté, la république, la victoire… et il n’y a rien de sexy en cela.
J’ajoute que les logos féminins sont très rares, le seul logo qui me vient à l’esprit est celui de Starbucks (et c’est une sirène), d’ailleurs il est très intéressant d’observer l’évolution de ce logo qui au fil des années efface ses attributs féminins. Cette évolution fait écho à la société Starbucks créée par des hippy et racheter par des preppy.
https://www.google.com/search?q=evolution+du+logo+starbuck&sxsrf=ALeKk00KR41d2ea9sSQK0jBkeqR-zKo15w:1606382251281&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwjBydeb8J_tAhWy8uAKHSNoDe0Q_AUoAXoECAgQAw&biw=1357&bih=862#imgrc=4nS9eM4wXD3MAM
Pour autant, il est vrai que dans le domaine cosmétique on voit énormément de logo aux visages femmes, alors quand on fait un logo féminin forcement on pense à un salon de coiffure, ce n’est pas normal, cela accentue l’objectification sexuelle qui voudrait que l’image de la femme n’apparaisse que dans des salons de coiffures, marques de shampoings, et autres maquillages. Ce logo entre en résilience contre cela, il vous dit oui je suis un visage féminin, non je ne suis pas un shampoing.
On arrive ici à l’air du design conservateur, où les femmes ne doivent pas faire trop femmes et rester dans un univers féminin, et Paris devrait être encore et toujours symbolisé par une tour Eiffel…
Le meilleur exemple de ce design conservateur est Marianne elle même, qui est passée d’une image révolutionnaire à une image conservatrice
http://marianne-republicaine.over-blog.com/pages/L_Histoire_de_Marianne-842249.html
Enfin on observe une nouvelle forme de féminité émancipée, vous vous êtes offusqués des lèvres parfaitement dessinées, sachez que les lèvres et le rouge à lèvres sont un symbole féministe très actuel et très puissant
https://www.courrierinternational.com/article/feminisme-lheritage-feministe-du-rouge-levres
Ce symbole est ouvertement féminin et féministe, et peut-être qu’il n’est pas du tout dans les « codes » de l’année 2019/20 mais il sera certainement très 2024, et j’imagine tout le courage qu’il a fallu au comité olympique qui savait pertinemment que ce logo ferait débat, je crois qu’il n’ont pas sous estimé la puissance du symbolique mais bien au contraire.
Quand à betty boop je vous invite à prendre connaissance de la posture symbolique et feministe de ce personnage
https://www.terrafemina.com/article/betty-boop-pourquoi-la-pin-up-du-cartoon-est-une-figure-feministe_a353062/1
On a rarement autant parlé d’un logo que de celui de Paris 2024, ce logo est peut-être devenu un des logos les plus partagés dans le monde et dans les médias à sa révélation, et si vous considérez cela comme un échec alors je vous souhaite sincèrement de connaitre autant d’échec que celui-ci.
Finalement, de ce visage, chacun peut y voir ce qu’il veut (femme, flamme, Marianne…) et c’est peut-être l’aspect le plus humain de ce visage.
Bonjour,
Merci pour cette nourriture très documentée et particulièrement objective.
Bien à vous
L’équipe de Sémiosine