La saga photographique de Clan Campbell exerce un pouvoir de suggestion indéniable, non pas tant par l’esthétisation des paysages d’Ecosse que, paradoxalement, par la narrativité de ses visuels, qui projettent le spectateur dans un micro-récit. Démonstration avec une des dernières annonces.
La publicité elle-même se présente comme la première de couverture d’un livre : un bandeau noir barre le tiers inférieur, sur lequel s’inscrit un énoncé qui ressemble davantage à un titre de roman – tout en lettrines et capitales – qu’à une accroche publicitaire. Au dessus, un visuel représentant un paysage nocturne et mystérieux, des rapides écumeux, une forêt inquiétante, où s’ouvre le chemin d’une aventure menant, peut-être, au château que l’on aperçoit dans le fond…
Nature fictive et paysage fictionnel
De même qu’une illustration de couverture est travaillée pour créer une ambiance, la nature donnée à voir ici est une composition artificielle : “Paysage né des terres d’Ecosse”, peut-on lire en corps 8 en haut de l’annonce presse, comme on dirait d’un récit qu’il est “né” de l’imagination de l’auteur. Cet incipit a la même fonction que le célèbre “Toute ressemblance avec…ne saurait être que fortuite” : une précaution liminaire pour l’auteur dont la fiction flirte avec le réel, ici pour l’agence dont les photos flirtent avec Photoshop.
Plusieurs des ingrédients du conte gothique sont réunis dans ce paysage-récit, déployé comme au cinéma dans le hors-champ du cadre. Les eaux agitées d’une rivière, semée de rochers menaçants, barrent le chemin d’accès à l’autre rive ; la forêt, où se détachent deux grands arbres en forme de gueule avalant le chemin, est bien connue comme le lieu symbolique de l’égarement (de La Divine Comédie au Petit Poucet) ; le chemin en lacets dans la montagne impose une dernière épreuve en perspective. La nature est construite comme dans un film fantastique : ténébreuse et hostile. Le château médiéval et la pleine lune, propice à l’apparition des loups, lycanthropes et autres vampires, viennent couronner le tableau.
On pourrait multiplier à l’envi les références à un codage littéraire et cinématographique du paysage. Ainsi le chemin lui-même, qui traverse la forêt et se prolonge sur une route en à-pics, jusqu’au château éclairé, reproduit de façon frappante le parcours du héros, appelé au château du Comte Dracula, dans le film de Coppola (1992).
Chemin de quête et parcours narratif
En apparence, pas de temporalité ni de personnages, qui fondent habituellement le récit, et pourtant cette annonce est éminemment narrative ; car dans le jeu entre le titre et le visuel, elle projette le spectateur dans une aventure dont il est le héros, et dont la profondeur de champ – comme dans certains jeux vidéos – permet d’entrevoir l’aboutissement. Si le parcours de lecture, en diagonale, traverse instantanément la page pour déboucher sur le produit, le parcours narratif, lui, emprunte à rebours le même chemin, mais la progression promet d’être plus ardue. D’où une temporalité imaginaire, celle du spectateur capté, voire captivé, par l’énigme de la quête et les épreuves en perspective.
La quête des traces apparaît comme une épreuve en trois niveaux successifs, physiquement représentés par les éléments primordiaux que sont l’eau, le végétal et le minéral. Tous recèlent des dangers : les rapides écumeux et les rochers glissants mettent le héros au défi de franchir la rivière ; la forêt obscure menace de le désorienter ou d’y faire les pires rencontres ; la route en à-pics semble assez périlleuse. Le point de vue du récit, à hauteur d’homme, est celui, externe, du narrateur, face à ces eaux tumultueuses, et suscitant les questionnements que l’on peut trouver en quatrième de couverture des romans d’aventure : “Pourquoi cette rivière infranchissable ? Pourquoi ce chemin aberrant, qui débouche ou débute sur la rivière ? Le héros parviendra-t-il au château ou sera-t-il égaré dans la forêt ?”
En reprenant quelques-unes des annonces de la même campagne, on retrouve systématiquement des obstacles, des dangers « naturels » qui empêchent la progression du spectateur-héros, dans son parcours imaginaire jusqu’au château. Failles béantes qui menacent d’avaler l’imprudent dans les profondeurs chtoniennes, gueule de pierre aux dents menaçantes. C’est le sens étymologique de Campbell (de l’irlandais ou du gaélique Caimbeul, signifiant “bouche tordue”) qui se trouve imagé ici.
frisson de l’aventure gothique
Le frisson de l’aventure gothique
Ne nous trompons pas sur l’objet de valeur ; derrière la quête fictionnelle du Clan Campbell (la tribu des ducs d’Argyll des Highlands) s’offre à portée de main le Clan Campbell (le whisky), l’élément essentiel, à la fois feu et lumière, qui éclaire les fenêtres du château et réchauffe le cœur de celui qui y accède. La bouteille se détache au premier plan, par la couleur et la rupture d’échelle : le produit est dans le réel et dans le temps de la consommation. Il s’oppose, par contraste avec le noir et blanc, au temps imaginaire du récit. Mais, débordant du cadre noir, le produit entre dans l’image : un petit peu de la bouteille est dans le récit. A l’inverse, avec la mise en abyme du paysage sur l’étiquette, un petit peu du récit est dans la bouteille, et sert de catalyseur à la reconstitution de la fiction.
Le consommateur peut ainsi savourer à peu de frais et sans risques, dans un intérieur confortable, un frisson d’aventure gothique à travers les ténébreuses terres d’Ecosse.