Depuis janvier 2012, gastronomie, jeu vidéo, cinéma, mode et design sont propulsés sous les feux de la rampe médiatique. Leur dénominateur commun : une incarnation urbaine aux allures de revendication identitaire, bref une « mise en cité ».
Aujourd’hui à l’étude, la Cité de la gastronomie pourrait bien s’installer à Rungis. Si celle du jeu vidéo accueillera le public à l’automne 2013 au sein de la Cité des sciences, celle du cinéma de Saint Denis vient d’être livrée à Luc Besson. Quant à celle de la mode et du design, elle a ouvert ses portes sur les quais de la Seine, le 13 avril. Quatre moments distincts d’un même processus, quatre activités humaines spécifiques, mais un concept identique qui n’en finit plus d’essaimer. Focus sur le terme cité et sur les représentations mentales qu’il cristallise.
Un lieu de référence
A l’origine, la volonté de créer un repère spatial autour d’une pratique culturelle (le jeu vidéo, la gastronomie, le cirque), d’un art (la musique, l’architecture, la BD), d’une réalité naturelle (la mer, l’espace), d’un savoir (les sciences, l’histoire de l’immigration) mais aussi d’une invention humaine (le train, la tapisserie, le livre). C’est d’ailleurs l’adjonction de l’un de ces compléments au terme cité qui invite à le comprendre dans son acception étymologique et non celle contemporaine de grand ensemble urbain aux connotations souvent funestes.
Lieux de mémoire, les cités tissent avec le passé une relation substantielle : la Cité de l’architecture et du patrimoine abrite le musée des Monuments français, celle de la dentelle de Calais rend hommage à un savoir-faire ancestral, tandis que la Cité des sciences possède une bibliothèque qui couvre tous les domaines scientifiques et techniques. Enracinées dans le passé, elles ont pourtant le regard tourné vers l’avenir. Cette dimension prospective, elles la revendiquent à cor et à cri dans leurs discours à travers les termes de « laboratoires, création expérimentale, volonté de recherche, alliance avec des centres contemporains, concepts innovants, centre d’aide à la création, promotion des jeunes talents… ». Véritable passerelle temporelle entre passé et futur, ces lieux résultent clairement d’une volonté unifiante.
Un lieu instructif et ludique
Centre de ressources, mais aussi pôle d’excellence, la Cité attire les spécialistes, héberge une communauté d’initiés, mais loin de se montrer excluante, elle draine également un public plus large d’amateurs, voire de simples curieux. Espace dédié à un domaine qui attise les passions, elle apparaît comme un carrefour où apprentissages et découvertes sont les gains mérités d’un échange, d’un partage que tous appellent de leurs vœux.
Il s’agit bien de se référer à la Cité comme l’endroit où les idées, les savoirs se transmettent, en minorant sa fonction mercantile, puisque les espaces de commerce (restaurants, bars, magasins…) sont avant tout perçus comme des lieux de détente conviviale ou d’acquisition de biens essentiellement culturels. La Cité s’impose alors comme un lieu qui s’adresse aux facultés intellectuelles de l’individu sans négliger son inclination pour les plaisirs et les loisirs. En témoignent les nombreuses activités de divertissement proposées au public, mais surtout la façon dont certaines Cités optent pour des positionnements propres aux parcs de loisirs.
Un lieu d’épanouissement
Espace de médiation culturelle entre le grand public et les spécialistes, la Cité appréhende l’individu dans sa globalité et son humanité. En filigrane, certains préceptes antiques enseignés sur les bancs de l’école, comme l’harmonie du corps et de l’âme ou la finalité qu’Aristote assigne à la cité : « formée au début pour satisfaire les seuls besoins vitaux, elle existe pour permettre de bien vivre… ». Rien de surprenant à cela, puisque toute Cité est pensée comme une ville miniature avec ses lois, son fonctionnement, ses usages, lisibles dans sa structure globale. C’est ainsi que la Cité de la musique possède un axe de circulation baptisé « rue musicale », alors que celle du livre d’Aix en Provence s’articule autour de la rue Jean de la Fontaine, tandis que le parc de la Cité de l’espace de Toulouse s’est, entre autres, doté d’une allée de l’infini, d’une promenade des objets.
Chaque Cité s’offre donc au public, comme un site à découvrir, à explorer, où flâneries et déambulations instaurent un rapport au temps différent. Contrairement à la ville, la Cité n’est pas un lieu qu’on traverse : c’est un lieu de destination où l’on s’arrête.
Le paradigme de Cité se justifie ainsi pleinement, d’autant qu’il renvoie initialement à la partie ancienne de la ville, à cette enclave urbaine dans une ville étendue. La Cité correspond donc à un territoire délimité, à taille humaine et donc rassurant, aux antipodes des mégalopoles modernes impersonnelles et anxiogènes. Un esprit de citadelle souffle même sur certains de ces lieux qui réactivent l’imaginaire médiéval : ainsi, la Cité de la mode et du design se veut enserrée dans une « enceinte architecturale audacieuse ». De manière plus subtile, mais tout aussi efficace, les logos de certaines Cités trahissent ce fantasme d’un lieu autarcique et protégé : formes circulaires parfaites, ou presque, qui rappellent la configuration sphérique des villes idéales de la Renaissance.
La Cité apparaît donc clairement comme une incarnation matérielle et intellectuelle de l’utopie et cette perspective politique participe de la mission civilisatrice que ces établissements – pour l’essentiel publics – se sont fixée. La Cité fait les hommes, mais elle construit aussi le rayonnement international de la France. Finalement, ce qui est à l’épreuve ici, c’est bien l’élaboration conceptuelle de chaque Cité qui préside largement à sa réalisation.
Pour preuve, le site du projet de la Cité de l’économie et de la monnaie lancé par la Banque de France et qui appelle tout à chacun à s’exprimer pour apporter sa pierre à l’édifice. Cette tendance à la co-création, au participatif que flatte Internet, elle ne date pas d’aujourd’hui : dans la conception athénienne de la démocratie, la cité désigne la collectivité formée par les citoyens. Derrière cette métonymie se cache une réalité humaine, celle qui façonne chaque Cité comme un organisme vivant, gage élémentaire de succès.