Sémiosine

L’Express Styles dans le jardin de Grazia

Pour ses cinq ans, L’Express Styles s’offre une nouvelle formule. Et un nouveau défi : fort de son succès publicitaire et d’audience, le titre part chasser sur les terres de Grazia.

En sémiologie, la preuve n’existe pas. On parle plutôt d’indices, si possible nombreux et surtout convergents. La discussion est toujours ouverte !

Les mots pour se définir

La page promotionnelle annonçant la nouvelle formule de L’Express Styles nous découvre la définition du titre : « Nouvelle formule / L’Express Styles / Plus que jamais / LE news féminin d’influence ».

Dégageons rapidement les quelques effets de sens contenus dans cette signature :
– L’Express Styles se définit comme un news féminin d’influence.
– Il est LE news féminin d’influence : c’est le plus légitime dans cette catégorie, voire le seul.
– Il l’était de facto, aujourd’hui il le dit : la nouvelle formule fait de cette qualité un positionnement assumé.
– Il l’était déjà, il l’est plus que jamais : L’Express Styles a décidé de miser dessus, voire de mettre le paquet.

Or le positionnement news + féminin + influence, c’est celui de Grazia. À une nuance près, nous y reviendrons.

Les mots d’influence

Compte tenu de l’importance de la photo, une couverture de magazine se lit plus comme une image que comme une page de texte. Or, l’œil balaye l’image selon une “lecture en Z” : du coin supérieur gauche au coin inférieur droit, en zig-zag.

Il apparaît donc que le premier élément de texte lisible de la première page de rédactionnel de cette nouvelle formule, c’est l’accroche suivante : “Phénomène : le triomphe des subverchics”.

“Subverchics” = subversifs + chics. Un néologisme. Tiens, n’est-ce pas justement une des spécialités de Grazia ? Grazia qui, à coups de Rigueurista, Austérichic, Chiconomie, Maturialisme, signifie son pouvoir de prescription en nommant les phénomènes. Car inaugurer un mot nouveau ou promouvoir un terme confidentiel pour décrire une actualité, une tendance, c’est un peu déjà créer l’événement, se poser en tout cas comme acteur de l’actu.

Imposer un néologisme en couverture en lui collant le mot phénomène, c’est dire son ambition d’être à l’origine d’un processus de diffusion en cascade. L’ambition d’être parmi les premiers à adopter, à médiatiser, à proposer à l’adoption du public.

Les mots pour dire la mode

Le fait que L’Express Styles ait repris, pour son numéro inaugural, la structure exacte des accroches mode des Spécial Mode de Grazia ne peut être innocent. Cela affiche une volonté de concurrencer Grazia dans la façon de dire la mode.

Si les collections nous sont imposées par les créateurs, il appartient à ceux qui se veulent prescripteurs de les nommer comme phénomènes, de dire quelle femme elles installent dans le paysage, de raconter ces femmes et les pièces qu’elles portent comme des éléments de l’air du temps.

. “Le cuir floral d’Atelier Versace” (L’Express Styles) est ainsi à rapprocher de “Le cuir féminissima de Bottega Veneta” (Grazia)…
. “L’épure gracieuse de Bouchra Jarrar” à rapprocher de “L’épure extrême de Céline”…
. “La sensualité dark de Givenchy” à rapprocher de “L’élégance tribale de Lanvin”…
. “La vie en vert d’Armani Privé” à rapprocher de “Le black power de Calvin Klein”…
. “Le nomadisme urbain de Jean Paul Gaultier” à rapprocher de “L’urban minimal de Stella McCartney”…
. “L’azur brillant de Chanel” à rapprocher de “Le rouge flamboyant de John Richmond”…
. “La dentelle graphique de Giambatista Valli” à rapprocher de “La maille exotique de Missoni”, etc.

Les mots mis en images

Une enquête a montré que 38% des abonnés de L’Express commençaient leur lecture par le supplément Styles. Styles, qui venait en seconde ligne, veut s’assumer aujourd’hui comme un news à part entière, comme L’Express. Il faut le dire, et le montrer.

Parmi les éléments graphiques qui traduisent cela, il y a la colonne mise à l’honneur. Cette colonne qui, au même titre que le papier, la page, la Une, le titre, figure parmi les éléments saillants par lesquels l’objet magazine s’exprime : ne dit-on pas “À longueur de colonnes” comme on dit “Dans les pages des magazines”, “À la Une”, “Faire les gros titres”, “Sur papier glacé” ? Feuilletez L’Express Styles, on est saisi : les colonnes sont partout, même dans les espaces vacants.

Autre indice, la généralisation de ces aplats blancs qui ouvrent la voie aux caractères typographiques comme on déroule le tapis rouge. Les titres qui mordent sur l’image, c’est terminé. Désormais, rien ne sera plus écrit que “noir sur blanc”. Le noir sur blanc, c’est place à l’info pure et dure !

Il y a aussi ces pages d’ouverture qui rythment le magazine comme des mini-Unes : “Styles Tentations”, “Styles Magazine”, “Styles Modes de vie”.

Bref, L’Express Styles est un news magazine, féminin, d’influence, dans cet ordre. C’est là LA nuance par rapport à Grazia, qui se dit plutôt féminin d’actu.

Concurrencer Grazia, oui, mais en gardant ses atouts : l’actu avant tout.

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