Sémiosine

L’affiche autrement au musée du quai Branly

Ce mois-ci, le musée du quai Branly inaugure une nouvelle exposition : Nigéria, arts de la vallée de la Bénoué ; l’occasion de revenir sur les particularités d’affiches qui relèvent du genre ethnographique, placardées sur nos murs par le musée des Arts « premiers », cher à Jacques Chirac.

Un ancrage géographique

Remarquons tout d’abord la prédominance de la géographie dans les affiches. On y trouve, en effet, le souci permanent de ce qu’on pourrait appeler la géolocalisation, au moyen du texte ou de l’image. Le musée expose ainsi les preuves de l’existence d’une altérité, la reconnaissance de l’autre dans sa différence, qui serait à chercher avant tout dans l’espace, dans un ailleurs qu’on ne pourrait négliger. La référence géographique permet de cloisonner ces sociétés, de leur donner raison dans ce qu’elles ne sont pas fondamentalement différentes, mais substantiellement d’ailleurs. C’est la distance qui se charge ici d’expliciter l’altérité, l’assimilant comme le produit de variables géographiques (qu’elles soient climatiques, géologiques, biotiques, etc.). L’éloignement géographique, autrement dit l’exotisme, matérialise en premier lieu l’altérité. Un rôle que l’espace occupe de longue date puisque Hérodote, déjà, se représentait le monde en cercles concentriques autour des foyers de civilisation occupés par les Grecs, cernés par les Barbares, les sauvages et, enfin, les non-humains.

Une temporalité primitive

Si, dans les affiches du musée, ces sociétés sont situées dans l’espace, elles ne le sont pas dans le temps. Cette carence place le sujet de l’exposition dans une imprécision historique évidente. Elle plonge ces sociétés hors de l’évènement, pour leur reconnaître une préférence à la tradition, condition de la conservation d’un état originel ou archaïque.

Rejetées hors de l’histoire, ces sociétés se retrouvent à nouveau enfermées dans une altérité profonde ; la distinction est temporelle après avoir été spatiale. L’exposition de telles œuvres hors de toute chronologie ne vise qu’à les replacer dans une temporalité primitive. Plus rien ne distingue les générations qui les ont produites, ce qui a pour effet de recomposer une continuité temporelle.

Cette notion d’évènement, qui est constitutive de l’histoire, n’est d’ailleurs apportée que par le contact avec l’Occident. Or, ces rencontres marquent bien souvent ce que nous considérons comme une corruption de ces sociétés primitives mais que nous cherchons malgré tout à atteindre.

Un folklore exposé

Toutefois, les affiches du musée du quai Branly ne renvoient pas ces sociétés à une altérité exotique ou archaïque. Musée d’ethnographie, le quai Branly s’intéresse avant tout aux peuples, via l’exposition d’œuvres relevant d’un savoir-faire et d’un savoir-être. Figurant dans le nom des expositions, l’ethnonyme ou le toponyme – gentilé en puissance – représente moins l’ethnie que son essence.

C’est là que l’œuvre révèle tout son intérêt. À elle seule, elle est chargée de représenter l’identité de l’ethnie qui l’a produite. En effet, dans les affiches, les productions culturelles émanent d’une communauté, elles sont moins des réalisations d’artistes que l’œuvre spécifique d’une ethnie et d’un lieu. L’affiche opère ainsi une folklorisation de ces communautés.

Cette négation de l’individu, à qui sont préférés le groupe et son unité, fonde ces communautés dans une altérité profonde. C’est une sagesse primitive des sociétés, de leurs traditions, le gage de l’identité ethnique, qui sont ici présentés par le musée du quai Branly. En somme, c’est tout un folklore qui est exposé dans les affiches.

En octobre dernier, le musée du quai Branly lançait un appel d’offre portant notamment sur la création des affiches d’exposition. Gageons que l’on y retrouvera quelques-uns des éléments de production de l’altérité qui font le succès populaire de ce musée.

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