« Pour être heureux, bougeons ! » Voilà résumée la nouvelle tendance dont s’est emparée Coca-Cola dans sa nouvelle campagne. Décryptage.
« Rester assis tue plus que le tabac » déclarait le cardiologue et cofondateur de l’Observatoire de la sédentarité François Carré au Monde en janvier dernier. Alors que les pouvoirs publics s’évertuent à proposer des idées pour nous donner envie de « manger – bouger » et de vivre plus sainement – avec par exemple le programme « Bougez près de chez vous » lancé par le Programme National Nutrition Santé au printemps – plusieurs marques semblent s’être donné le mot pour nous inciter à activer nos muscles. Avec une différence de taille : il ne s’agirait plus de bouger pour bouger et faire son devoir d’individu responsable qui consomme « au moins 5 fruits et légumes par jour » mais bien de bouger pour se faire plaisir.
« Le mouvement, c’est le bonheur » résume Coca-Cola dans sa dernière campagne.
La marque part d’un constat : le monde bouge de plus en plus vite et, malgré cela (ou peut-être à cause de cela), ceux qui le font tourner sont de plus en plus sédentaires. La solution : plutôt que de se résigner à chausser ses baskets et aller faire un jogging à contrecœur, pourquoi ne pas « se contenter » de répondre à ce que nous demande notre corps, c’est-à-dire bouger sans méthode ni quête de résultats, jouer, danser, en un mot : bouger d’abord pour vivre un moment de plaisir ?
La campagne fait écho à une tendance de fond dans la pratique du sport, de plus en plus ludique et envisagée comme un moyen de se faire du bien sans passer par la case torture – autrefois justifiée par l’idée que l’on n’aurait rien sans rien. De cette envie de vivre un moment agréable tout en faisant de l’exercice sont nés une ribambelle de nouveaux sports, tous plus inventifs les uns que les autres, depuis le double-dutch (version sportive de la corde à sauter) jusqu’aux cours de hula hoop en passant par la gym suédoise ou le « blackminton » (speed badminton dans le noir).
Autant d’alternatives au jogging, « apparu en France dans les années 80 », expliquait le sociologue Patrick Mignon du sport à Libération il y a quelques années : « On copiait le modèle américain, toujours précédé d’une aura de modernité et de liberté. Par ailleurs, il entrait en résonance avec des valeurs nouvelles : culte de la performance, valorisation du corps, importance de l’apparence physique.»
Jusqu’à il y a peu, avant la culture Google/Apple qui a bousculé les codes traditionnels de la réussite professionnelle, le jogging faisait d’ailleurs intégralement partie de la panoplie du chef d’entreprise (voire d’Etat) dynamique en ce sens qu’il confirmait sa combativité et son sérieux, en un mot – encore plus typique de l’époque – sa « niaque ». Aujourd’hui, le jogging, devenu « running », est lui aussi touché par la tendance de la gamification, comme en témoigne le succès de l’application « Zombies, run » qui substitue à la monotonie des tours de stade l’excitation de « missions » à accomplir en échappant à des hordes de zombies.
On peut noter au passage que Nike avait depuis longtemps flairé la tendance, avec les campagnes « Shade Running » en 2001 et « Tag » (« jouer à chat ») en 2002, à voir ou revoir pour le plaisir là aussi :
Jouer, danser, foncer à vélo ou sur un skate, se rouler dans l’herbe : avec une campagne fortement axée sur les thèmes du plaisir et de l’enfance – puisque c’est bien à retrouver notre âme d’enfant que la marque nous invite –, Coca Cola se démarque des notions de professionnalisme et de performance habituellement associées à la pratique sportive. Pas de « quantified self » dans ce spot : ni distance parcourue ni statistiques ou calories brûlées comme chez Apple, le succès se mesure au bonheur, inquantifiable, ressenti. En d’autres termes, nul besoin d’être sportif : quel que soit son niveau, chacun peut prendre part à ce bonheur – sponsorisé, bien sûr, par Coca-Cola.
Un message pour le moins fédérateur et qui a aussi l’avantage, pour une marque commercialisant un produit régulièrement accusé de contribuer à l’épidémie d’obésité mondiale, de présenter dans un même spot à la fois le poison et son antidote – un peu à la manière du fameux slogan de Nutella qui a marqué l’enfance ou adolescence de certains d’entre nous : « mieux pour penser et se dépenser ».
Plus terre à terre et moins chic que la (très belle) campagne « A sporting life » d’Hermès de l’été dernier ou « La vie est un sport magnifique », nouvelle signature de Lacoste, la campagne Coca-Cola a le mérite de traduire, à travers une équation simple et efficace un message que les pouvoirs publics ont parfois du mal à faire passer. Parce qu’entre le choix responsable de « prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur » ou « descendre une station plus tôt et terminer mon chemin à pied » et la possibilité de trouver son bonheur en dansant jusqu’à l’aube, le choix paraît tout de même évident.
En ce qui concerne la cible, cette stratégie permet également d’opérer un glissement intéressant. En choisissant la notion de « mouvement » plutôt que celle de « sport », beaucoup plus réductrice, la marque s’adresse à tous ceux qui bougent (ou aspirent à bouger) au quotidien, c’est-à-dire à la quasi-totalité de la population. Elle englobe aussi bien les vrais sportifs que le commun des mortels buveurs de Coca et incite ceux-ci, à travers sa promesse de bonheur, à rejoindre ceux-là, sinon dans la performance au moins dans l’esprit.
Ce faisant la marque se présente comme une alternative, moins technique et plus populaire, aux boissons de l’effort et s’éloigne de son image de boisson pour buveurs de soda avachis dans leur canapé. Elle souligne aussi et surtout le fait que chacun est capable de dépenser les calories contenues dans la cannette, sous-entendant ainsi que le problème n’est, bien entendu, pas la quantité de sucre présente dans la boisson mais bien le manque d’activité des consommateurs. Problème auquel la marque se propose de répondre par un encouragement à l’activité et au bonheur : la (grande ?) boucle est bouclée.