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Yves Saint Laurent, une affiche, l’éternité

L’affiche d’Yves Saint Laurent, biopic réalisé par Jalil Lespert, exprime avec sobriété cette tension entre vie et mort qui caractérisait la vie du styliste. Et ferait presque de l’artiste le personnage d’une nouvelle de Marguerite Yourcenar. 

Lorsque Marguerite Yourcenar est nommée en 1980 à l’Académie française, au fauteuil numéro 3, précédemment occupé par Roger Caillois, c’est Yves Saint Laurent qui réalise son uniforme. Pourquoi rappeler cette anecdote aujourd’hui que sort le biopic que Jalil Lespert consacre au styliste de légende ? Parce qu’il est troublant de déceler dans l’affiche créée par la société de distribution SND une allusion à l’une des plus fortes nouvelles de l’écrivain académicienne Comment Wang-Fô fut sauvé (publiée en 1938 dans le recueil Nouvelles orientales).

Cette nouvelle relate la terrible épreuve subie par le vieux peintre chinois Wang Fo et son disciple Ling, qui, errant de ville en ville, vivaient pauvrement. Arrêté par la milice sans raison apparente, Wang-fo est condamné par l’empereur à avoir les yeux brûlés et les mains coupées. Mais avant l’exécution de sa peine, il doit, aidé de son disciple, achever une peinture commencée dans sa jeunesse. Magie de l’art, ils disparaissent tous deux sur les flots bleus qu’ils venaient de peindre. Wang-Fô échappe ainsi à la condamnation impériale et devient immortel.

Quel rapport avec l’affiche du film ? Différents éléments exprimant tous une tension vie-mort qui se résout dans une évocation de l’immortalité. Encadrée d’un bord noir, l’affiche a en effet la forme d’un faire-part de décès qu’on a dessiné à la main. Elle montre en son centre la figure d’un homme dont les initiales, YSL, viennent parfaitement s’ajuster à sa silhouette pour ne faire plus qu’un avec son corps. Le dessin de cette silhouette doit être observé à sa base : les taches qu’on y voit, ambigües, peuvent signifier l’ébauche, le brouillon qui se précise pour finalement devenir dessin ; elles peuvent également signifier l’inverse, comme un dessin qui serait rongé pour menacer de disparaître dans une tache de peinture. La silhouette semble ainsi vouloir s’extraire du néant – ou bien y retourner.

Quel rapport avec Yves Saint Laurent ? Yves Henri Donat Mathieu-Saint-Laurent, l’homme, est mort. Mais YSL – ces initiales qui aujourd’hui désignent la marque – continue à exister et à se développer. Yves Saint Laurent le styliste, le créateur, lui, ne s’éteindra jamais. Grâce à son art d’abord, mondialement respecté. Grâce à l’art ensuite, à commencer par ce film qui lui est consacré.

Ce que finalement nous révèle cette affiche ? Qu’Yves Saint Laurent est un nouveau Wang-Fô. Condamné par un destin implacable parce qu’humain, il continuera à vivre pour l’éternité « sur cette mer de jade bleu (qu’il) venait d’inventer ».

Bonus :

copyright de l’affiche : © Thibault Grabherr et Anouchka de Williencourt / SND

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