Skeuomorphisme… Il a suffi d’une keynote d’Apple pour qu’un terme jusque-là plutôt confidentiel soit propulsé sur le devant de la scène. Explications.
Etymologiquement, Skeuomorphisme vient du grec skeuos – équipement militaire puis costume, ornement et finalement décoration – associé à morphé – la forme. Le mot désigne un élément de design « dont la forme n’est plus liée à la fonction, mais qui reproduit de manière ornementale un élément qui était nécessaire dans l’objet d’origine » (c’est Wikipédia qui le dit). Emprunté à l’anglais, il désigne plus précisément en informatique l’art de donner à un objet virtuel l’apparence d’un objet réel. L’icône « poubelle » des ordinateurs qui ressemble à une corbeille à papier de bureau en est un bon exemple.
C’est ici que Steve Jobs et son designer préféré Scott Forstall font leur apparition, eux qui en mirent partout, du skeuomorphisme – dans les ordinateurs avec le système d’exploitation OS X, puis dans les smartphones et les tablettes. Qu’on en juge plutôt :
Analogie des matières (cuir, bois, métal) ; signes visuels iconiques tels qu’objectif de l’appareil photo, aiguilles de la montre, carnet d’adresses ; relief des applications à l’effet 3D… Les objectifs étaient clairs : il fallait rendre séduisant l’outil informatique ; il fallait rendre l’utilisation du smartphone la plus simple possible ; il fallait surtout intégrer l’objet numérique dans notre quotidien en rassurant les utilisateurs potentiels : non, l’usage d’un ordinateur ou d’un smartphone n’est pas compliqué. Et vous verrez, vous allez l’aimer, votre machine !
Et effectivement, le skeuomorphisme a cette propension à rendre le rapport à l’objet aussi pratique qu’émotionnel. L’ordinateur, le smartphone, la tablette me racontent autant d’histoires qu’ils comptent d’applications. Des histoires qui touchent autant au collectif – tel design qui renvoie à la calculatrice que tout le monde possédait dans les années 80 – qu’à l’individuel – j’avais un journal intime qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à ce calepin reproduit sur l’application. Bref, le skeuomorphisme, c’est la porte ouverte à tous les storytellings possibles.
Apple période Steve Jobs/Scott Forstall en a-t-il abusé ? C’est ce que semble penser le designer d’iOS 7 Jonathan Ive. Avoir des repères renvoyant à son environnement quotidien et à ses souvenirs, c’est bien. Encore faut-il que ses repères soient identifiables pour tous les utilisateurs. Or, un digital native a-t-il les mêmes images mentales qu’une personne de cinquante ans lorsqu’on lui parle, par exemple, de cassette audio ? Rien n’est moins sûr…
D’où cette rupture annoncée par le nouveau système iOS 7 qui relègue, avant même son lancement, le skeuomorphisme au rang de souvenir pour mettre en avant le flat design :
Plus du tout de relief, moins d’analogie, mais beaucoup plus de lumière, de cercles et de symboles. L’ensemble perd en émotion, gagne en praticité. Apple semble considérer que ses utilisateurs ont grandi et que les ordinateurs, smartphones et tablettes font maintenant partie du quotidien. La démocratisation de l’outil numérique n’est plus à faire, l’intégration de l’objet dans l’environnement des utilisateurs est à présent achevée, une nouvelle ère peut commencer. Et qui dit nouvelle ère dit nouvelle interfaces, nouvelles applications, nouveau design, bref nouveaux codes.
Reste à savoir si cette rupture formelle ne se transformera pas en rupture émotionnelle : l’attachement souvent viscéral à la marque Apple ne s’est-il pas aussi construit grâce à un certain design ?