Sémiosine

Interstellar, la résurrection (du cinéma américain)

Interstellar, de Christopher Nolan, est un feuilleté de références mythologiques qui se cachent derrière des hypothèses scientifiques, le tout déployé autour du thème tragique de l’avenir de l’humanité, disparition ou survie. Et un film qui finalement interroge le devenir du cinéma américain. Rien de moins. (Attention, spoilers)

Résumons : sur une Terre aux conditions climatiques devenues très difficiles et qui menacent l’espèce humaine, Cooper (Matthew McConaughey), ancien ingénieur et pilote de fusée de la NASA devenu agriculteur, accepte un peu par hasard de conduire une nouvelle mission spatiale. Objectif : partir à la recherche de l’équipage de la précédente mission qui s’est envolée dix ans plus tôt à la découverte de nouvelles planètes dans une nouvelle galaxie, et vérifier que l’implantation de colonies humaines est possible sur au moins l’une d’entre elles.

Les pionniers

Le cinéma américain nourrit et véhicule, depuis ses débuts, cette mythologie fondamentale des pionniers et des explorateurs. Qu’il s’agisse de la découverte de l’Amérique, de la conquête de l’Ouest ou de la conquête de l’espace, le personnage de l’explorateur qui ouvre la voie hante le western comme le film de science-fiction. Interstellar, qui se demande d’emblée si une vie humaine est envisageable ailleurs que sur la Terre, ne déroge pas à la règle. Et c’est bien l’exploration de cet ailleurs qui intéresse avant tout Christopher Nolan, au point qu’il expédie brutalement l’introduction – qui plante les éléments menacés, la ferme, le lycée, la famille – pour nous emmener aussi vite que possible dans l’espace – à la rencontre de l’équipage, à travers un trou de ver, en route vers des planètes inconnues. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Cooper, le personnage principal, est aussi agriculteur, autre figure du pionnier, nourricier, originel, capable d’ensemencer la terre… ou d’implanter de nouvelles vies en un lieu habitable, mission complémentaire qui lui est assignée.

L’élu

Cooper est très vite présenté comme l’élu qui doit sauver l’humanité. L’élu, parce que ce sont des messages énigmatiques qui l’entraînent, avec sa fille, dans l’antre de la NASA et qui lui font penser qu’une présence invisible l’a guidé tout au long du chemin. Le sauveur, parce que ce Jésus du futur doit « ressusciter »  la précédente mission opportunément nommée « Lazarus » (du nom du mort ressuscité par Jésus Christ dans un célèbre passage de la Bible) et les 12 hommes qui l’ont composée. 12, oui, comme les 12 apôtres du Christ – Christ qui rencontrera même son Judas au cours d’un périple intergalactique mouvementé. Dès les débuts du film sont ainsi posés les deux opposés structurant l’ensemble de la narration : mourir / revenir à la vie.

Orphée aux enfers

Le docteur Brand (Anne Hathaway), qui accompagne Cooper dans cette quête spatiale, est doublement motivée : par les enjeux de la mission, et par un enjeu plus personnel, celui de retrouver l’homme qu’elle aime, l’un des membres disparus de la première mission Lazarus. Orphée au féminin, elle traverse donc ce lieu vide et plein à la fois, dangereux, qu’est l’espace – lieu où le temps est relatif, lieu dont il est encore difficile de revenir autrement que mort et/ou sous la forme d’un fantôme. L’espace est aussi un enfer de feu, de glace et d’eau.

La renaissance

Cooper parvient pourtant à en revenir. Il lui suffit pour cela de croire en l’humanité, tout autant menace qu’espoir pour elle-même. La Terre ne veut plus d’elle ? L’espèce humaine trouvera un solution et reconstruira une société sur les décombres de la précédente. Dans l’espace, ailleurs. Cooper, l’homme qui a vu, l’élu, le sauveur, revenu d’entre les morts, aura gagné à la fois la connaissance – l’homme seul sauvera l’homme – et la jeunesse éternelle – passé par l’épreuve de la relativité temporelle, il ne semble plus devoir vieillir.

Disparaître vs survivre

Disparaître ou trouver les moyens de survivre…Cette dichotomie structurait déjà l’impeccable Gravity qui, l’année dernière, nous entraînait dans un espace – cimetière. Ryan Stone (Sandra Bullock) y recherchait l’âme de son enfant mort. A la fin de ce périple, spatial tout autant qu’intérieur, elle décidait de continuer à vivre et renaissait à la vie comme premier humain sur Terre. Ce film – accouchement proposait ainsi, comme Interstellar, un vrai discours sur le devenir de l’humanité.

Mais cette montée aux enfers pourrait également renvoyer en creux au cinéma américain lui-même et à cette intense réflexion qu’il mène sur les moyens à inventer pour survivre dans cet environnement hostile que constitue cette autre galaxie qu’on nomme « la maison ». Une maison composée de la télévision aux séries télévisées toujours plus addictives, et surtout d’Internet, espace d’immédiateté et d’opportunisme dans le divertissement qui menace, dit-on, l’économie de l’entertainment.

Après avoir un temps réagi en faisant la chasse aux « pirates » du net, Hollywood semble actuellement proposer, notamment avec ces space opera (qui doivent beaucoup à Stanley Kubrick, précurseur avec son film 2001 : L’Odyssée de l’espace), une réponse sans doute plus intéressante : miser sur un spectaculaire adulte et grand public qui fasse vivre au spectateur une expérience unique et qui provoque à la fois l’émotion, la réflexion et les sensations physiques, sans jamais négliger l’histoire ni les emprunts à notre imaginaire socio-culturel. Là se cache peut-être la clef du succès de ces films.

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