Sémiosine

Ainsi soient-ils, série sémiologique

Ainsi soient-ils, dont le dernier épisode de la saison 2 a été diffusé il y a quelques semaines sur Arte, est une oeuvre majeure qui emprunte aux codes de la série américaine tout en entrant en résonance avec des préoccupations très actuelles de la société française. 

Les scénaristes américains de séries télé auraient-ils donné des idées à leurs homologues français ? C’est l’impression très forte que j’ai eue à la vision d’Ainsi soient-ils, série créée par David Elkaïm, Bruno Nahon, Vincent Pymiro et Rodolphe Tissot, qui nous plonge dans l’univers en apparence fermé du séminaire. Nous y suivons les novices Yann, Raphaël, José, Guillaume, Emmanuel et leurs supérieurs, le père Fromentin dans la saison 1, le père Bosco dans la 2e saison. Nous les suivons dans leur parcours individuel, dans leurs interactions avec les autres éléments du séminaire, dans leurs contacts avec le monde extérieur (famille, amis, maîtresses, amants, quidam). Nous sommes observateurs au centre d’un système de signes nommé « Ainsi soient-ils » et nous tentons d’en comprendre la signification…

La série produite par Arte est américaine en ce qu’elle s’immisce dans un milieu social complexe et se propose d’en décortiquer le fonctionnement. The Sopranos (David Chase) nous installait dans une famille de la mafia du New Jersey ; Battlestar Galactica (Ronald D. Moore) nous invitait à prendre place à bord d’un vaisseau spatial en guerre contre des armées de robots et à la recherche d’une planète terre salvatrice ; The Wire (David Simon) nous offrait de l’intérieur une vision de la ville de Baltimore en investissant tous les lieux de pouvoir, police, syndicats, école, mairie, organe de presse… Ces quelques exemples parmi les plus intéressantes créations des années 2000 nous inciteraient presque à parler de «  série sémiologique », tant les points de comparaison entre l’analyse d’un système menée par les scénaristes de ces séries et le travail d’analyste du sémiologue sont nombreux. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit bien de mettre à jour les interactions entre les signes, l’articulation du récit, le système de valeurs à l’oeuvre. Il s’agit dans un cas comme dans l’autre de comprendre comment la signification peut naître d’éléments en apparence épars mais qui forment un tout, un ensemble signifiant.

Ainsi soient-ils met ainsi en récit le thème du doute – bien plus que ceux de la foi ou de la vocation, comme on pourrait de prime abord s’y attendre. Le séminaire est le lieu du questionnement par excellence – quand l’université serait encore celui du savoir et de l’épanouissement personnel (voir la série Dawson’s Creek de Kevin Williamson par exemple). Au séminaire, on questionne les textes bibliques, mais également sa vocation, son rapport aux autres, son rapport au monde, sa sexualité. Au séminaire, on se met à l’épreuve. Il ne s’agit pas de croire ou ne pas croire, d’avoir la foi ou non – les personnages ne remettent jamais en question leur croyance en Dieu. Au séminaire, les jeunes prennent ce qu’ils veulent des anciens tout en s’opposant à eux quand ils le jugent nécessaire. L’Eglise, elle, est un lieu de pouvoir – univers de tractations, de coups bas, de négociations autant spirituelles que financières. L’Eglise est le lieu de la maturité, ce lieu où les jeunes du séminaire ne seront plus caractérisés par un subjonctif de possibilité – les séminaristes désirent devenir prêtres – mais bien par un présent d’existence – les hommes d’église sont hommes de pouvoir.

Le succès d’une telle série, outre ses réelles qualités d’écriture, de réalisation, d’interprétation, tient peut-être à ce miroir qu’elle parvient à créer entre la fiction développée et la société dont elle s’inspire. Le système d’opposition mis en place par les scénaristes, avec comme centre ce motif du doute, n’est-il pas en creux la représentation d’une société française clivante qu’on dit aujourd’hui sceptique dès qu’il s’agit de son avenir (vs son passé), de ses gouvernants (vs ceux qui sont gouvernés), de ses capacités à innover (vs sa propension à l’inertie) ? La série Ainsi soient-ils semble de fait entrer en résonance avec des préoccupations très actuelles, laissant chaque spectateur apporter les réponses qu’il souhaite en fonction des personnages qu’il préfère, des situations qui lui parlent plus personnellement, des thèmes abordés (de l’immigration clandestine à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe en passant par le célibat des prêtres).

Tout ceci fait d’Ainsi soient-ils l’une des séries françaises les plus passionnantes à suivre aujourd’hui. La saison 1 plantait les personnages et le lieu principal de l’action, la saison 2 se concentrait sur les conflits générationnels et les oppositions au sein de l’Eglise. J’ai hâte de voir ce que nous réserve la saison 3 – en toute logique, le passage de la fin de l’adolescence à l’âge adulte pour nos séminaristes, et l’immersion dans le tentaculaire pouvoir de l’Eglise au sein d’une société dont le principe premier reste bien sa séparation d’avec l’Etat. A suivre, donc.

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