Sémiosine

Chronicle : le vertige de la domination

Il m’arrive d’aller voir un film simplement parce que l’affiche me plaît ou m’intrigue. Dernier en date : Chronicle, du réalisateur canadien Josh Trank. Soit trois adolescents  qui se retrouvent par hasard dotés de superpouvoirs. Comment vont-ils choisir de s’en servir ? 

L’affiche, la voici :

Nous la lirons de haut en bas et de gauche à droite, le groupe nominal « l’abus de superpouvoirs » correspondant à la partie gauche, le groupe verbal « est dangereux pour la santé » à la partie droite.

Domination

Le ciel est gris, nuageux. Normal pour un film qui aborde le cataclysme physique et psychologique du passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Le titre, centré, est laconique : une chronique est un recueil chronologique de faits. Lorsqu’Andrew Detmer, l’un des héros, décide de filmer tout ce qui lui arrive, il enregistre la simple chronique vidéo de sa vie, sans penser qu’un jour il flirtera plus avec les Chroniques Martiennes de Ray Bradbury qu’avec le blog vidéo d’un adolescent mal dans sa peau… La baseline, elle, intrigue : « l’abus de superpouvoirs / est dangereux pour la santé ». Référence humoristique à la mention légale présente par exemple sur les publicités pour l’alcool. Ou comment pointer du doigt la contradiction inhérente à ce genre de message qui déclenchera précisément chez un grand nombre d’adolescents le désir de passer outre et de tester les limites.

« L’abus de superpouvoirs » : un sujet et son complément de nom => Trois personnages, à gauche, au sommet d’un building, comme en équilibre, qui regardent vers le bas et la gauche.

Dominer le reste de l’humanité par ses superpouvoirs est proprement vertigineux –  un sentiment de puissance associé dans l’imaginaire collectif à Dieu. Les trois personnages forment ainsi une sorte de trinité à laquelle renvoient les rôles assignés à chacun, ainsi que leurs vêtements : le Père, debout, qui est au début moteur de l’action (/veste en cuir sur chemise/= <sérieux>) ; le fils, à gauche, qui finira par prendre le pouvoir (/tee-shirt et blouson fermé sur corps chétif/ = <mal dans sa peau>) ; le saint esprit, accroupi à droite, qui œuvrera pour sauver le monde (/tee shirt et jean sur corps athlétique/ = <cool>).

« est dangereux pour la santé » : le verbe être et l’attribut => la Space Needle (182 m) ancre l’affiche dans un lieu défini, Seattle, ville du nord-est des Etats-Unis où le nombre de suicides est proportionnel à la quantité de pluie qui se déverse tous les ans (les fans de Curt Cobain en savent quelque chose). De là à parler de film dépressif…

Cette tour ressemble à une station spatiale, et possède un élément exceptionnel : une voiture, symbole de l’Amérique du XXe siècle, posée à l’envers en équilibre sur son aiguille –  tête en bas, à n’y rien comprendre. Mais de quelle santé parle-t-on ? physique ? mentale ?

Vertige

Cette affiche narrative  joue ainsi sur le suspense (que s’est-il passé ?) en suggérant à la fois un univers SF et une parabole sur l’adolescence à l’ère du 2.0, sans mentionner aucun nom de réalisateur ou d’acteur, mais en renvoyant simplement à la page FB pour plus d’informations. Ce qui colle parfaitement à Chronicle, film found-footage qu’on voudrait croire retrouvé et monté après les événements (à la manière de Blair Witch Project). L’absence des mentions habituelles indique également l’importance de la culture télévisuelle et en particulier des séries pour ce film et le public qu’il vise. Si le résumé fait indéniablement penser à la série anglaise Misfits, l’affiche, elle renvoie au support promotionnel d’une série américaine qui n’avait pas rencontré son public en 2010, Gravity.

On le voit, les éléments principaux sont les mêmes : des personnages au sommet d’un building, au-dessus de la « masse », et un ancrage géographique avec l’Empire State Building en arrière plan. Mais ici, pas de superpouvoirs : cette comédie dramatique se voulait juste décalée.

Remontons à présent aux origines :  l’affiche de Chronicle fait surtout référence à l’image emblématique d’un autre film, qui parlait également d’êtres aux superpouvoirs pesants, les Ailes du désir de Wim Wenders (Der Himmel über Berlin) dont la composition, plus dépouillée, n’en est pas moins similaire.

Que de chemin parcouru entre ces deux époques ! Les anges protecteurs des années 80, ceux d’avant la chute du mur de Berlin, évoluaient dans un ciel vide et aspiraient à devenir humains pour éprouver le vertige des sentiments. 25 ans plus tard, les superhéros adolescents et égocentriques d’une Amérique traumatisée par les événements du 11 septembre 2001 apprennent à voler dans un ciel rempli d’histoires et tiennent dans leurs mains le sort de leurs prochains. Des pouvoirs proprement divins…

Bonus :

Ironie du calendrier des sorties cinéma en France, la chute est figurée par une autre affiche :

Plus d’infos :

Réalisé par Josh Trank, avec Dan DeHaan (Andrew Detmer), Alex Russell (Matt Garetty), Michael B. Jordan (Steve Montgomery), Michael Kelly (Richard Detmer)…
Distribué par Twenty Century Fox France.

Plein d’infos également sur la page Facebook.

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