Sémiosine

Les masques de Polisse

L’affiche de Polisse, le film de Maïwenn sorti en 2011, met bas les masques d’une police protectrice et vengeresse, masques qui cachent autant qu’ils révèlent son humanité.

Protéger et punir

Le dispositif scénique est à chaque fois identique : plan taille d’un homme ou d’une femme qui dissimule son visage sous la photo d’un visage d’enfant, le tout sur fond de mur de béton.

Le personnage a tous les attributs du policier : gilet pare-balle avec macaron « police nationale – ministère de l’intérieur », brassard orange « police » et une arme à feu logée dans son étui. Soit les indications suivantes :

. le béton renvoie à un environnement urbain et ici protecteur ;

. le gilet pare-balle permet de se protéger ;

. le pistolet sert à protéger, se protéger, blesser voire tuer ;

. le brassard « police » et le macaron « police nationale »  permettent au policier d’être identifié en tant que représentant de l’autorité et protecteur de la loi et des citoyens.

L’affiche, frontale, se range ainsi du côté de l’autorité qui doit protéger les victimes, et par extension, punir les coupables (absents de l’image). Car les enfants sont clairement les victimes, comme en atteste la photo tenue par le policier, qui peut renvoyer à deux univers associés à la justice : la photo de gardés à vue qui tiennent un écriteau les identifiant, et celle surtout que les mères d’enfants disparus brandissent dans des rassemblements réguliers, en Argentine par exemple.

Dissimuler, révéler

La photo de l’enfant et l’uniforme de policier apparaissent ainsi comme les masques derrière lesquels le policier dissimule son identité réelle (et par extension l’acteur qui, chose plutôt rare, apparaît sans visage sur l’affiche). Ce faisant, et par un jeu de miroir inversé, ces masques révèlent :

– la fonction du policier au sein du corps « représentants de l’ordre » : protéger les mineurs dans la BPM (Brigade de Protection des Mineurs). Le titre du film est ainsi écrit à la main, à la peinture blanche ou au typex, avec une faute d’orthographe qui renvoie à un univers enfantin et ludique de cour d’école où on joue au policier et au voleur : l’enfant désigne l’adulte dans sa fonction sociale (professionnelle et d’autorité) ; l’adulte montre l’enfant (tous les enfants) qu’il tient dans ses mains et dont il doit assurer la protection.

son identité profonde : le personnage adopte (se fond dans) le point de vue (et la douleur) de l’enfant qui regarde le spectateur dans les yeux, pour le prendre à témoin. Le policier est ainsi « désidentifié » pour ne plus renvoyer qu’à son humanité. Sous-entendu : vous feriez, vous, du mal à cet enfant ?

Venger, s’indigner

Mais le masque renvoie également à l’univers des vengeurs masqués présents dans les comics, dans la littérature, au cinéma, qui ne sont jamais aussi à nu que lorsqu’ils sont masqués. Qu’on pense à Zorro, Batman, Spider-Man, tous les super-héros protecteurs de la veuve et de l’orphelin, qui, sans jamais chercher aucune gloire personnelle, traquent sans fin le crime lorsque la police ne parvient pas seule à maintenir l’ordre, et mettre ainsi en avant un idéal de justice.

Adopté par le mouvement des indignés, le masque de V pour Vendetta (bande dessinée d’Alan Moore et de David Lloyd, adapté au cinéma par James McTeigue sur un scénario des frères Wachowski en 2006) a, lui, pour fonction de dénoncer une économie jugée incontrôlable et de combattre collectivement un système jugé injuste.

N’est-ce pas là le propos du film de Maïwenn, qui entend rendre compte du quotidien de la BPM, dans ce qu’il a de plus drôle, de plus sordide et de plus touchant à la fois, tout en dénonçant les violences faites aux enfants ? Des combats différents dans la forme, mais qui finalement opposent toujours les gentils aux méchants, pour in fine illustrer le combat du bien contre le mal.

Mise à jour du 17 novembre 2011 : pour remercier ses deux millions de spectateurs, Polisse enlève les masques…

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