La Crème de la crème, le dernier film de Kim Chapiron, nous invite à plonger dans l’univers des grandes écoles de commerces parisiennes. Celui des théories économiques et du sexe, de l’argent et des sentiments, des réseaux professionnels et des soirées, où l’espace d’une chanson tout est possible…
Dans le dernier film de Kim Chapiron, La Crème de la crème, la bande sonore est constituée de musiques et chansons connues et reconnues, de deux époques et styles musicaux différents. Avec ce choix, le malaise est fréquent mais correspond en réalité à la personnalité de Kelliah, Dan, Louis et les autres élèves d’école de commerce dont nous suivons l’histoire.
Petit point technique mais pas des moindres, toutes les musiques sont incluses dans leur scène, c’est-à-dire qu’elles proviennent de la scène tournée, leur source est visible et identifiable, que ce soit par les platines de DJ en soirée ou tout simplement par les acteurs qui les chantent. La bande sonore est ainsi mise en situation, renforçant la sensation d’identification du spectateur aux personnages et à ce qu’ils vivent. Ces musiques et chansons se répartissent en deux groupes distincts : musiques électroniques et musiques de variété, ce qui signifie ici musiques actuelles vs musiques des années 70-80.
Modernité et électro cool
Au premier abord, nous avons des musiques électroniques de house-music. Diffusées lors des soirées étudiantes dans lesquelles nous suivons les personnages de cette histoire, les chansons de Justice, The Shoes et Sebastian sont loin d’être des perles indépendantes dénichées après de longues recherches musicales mais suffisent pour nous imprégner de vibrations festives. Supposés parler au plus grand nombre et retransmettre l’ambiance et l’esthétique des soirées dépeintes dans le film, ces titres faciles d’accès, que chacun peut avoir entendu sans être allé écouter le reste de la discographie de l’artiste, caractérisent donc une élite se contentant de la musique qu’on lui propose et qu’elle considère probablement comme pointue.
Tradition et variété française
Cassant cette ambiance de soirée étudiante à la musique clubbing mais populaire, les chansons de variétés françaises, populaires mais dépassées, arrivent à nos oreilles. “Les Lacs du Connemara” de Michel Sardou succède ainsi à l’électro-house cool (The Shoes remixé par Sebastian), comme un cheveu sur la soupe. Cette chanson, ancienne et ancrée dans la culture populaire, sur laquelle les étudiants s’époumonent est à l’image de leurs valeurs et la vision qu’ils ont du monde et de l’amour. En effet, dans ce film, la relation amoureuse se marchande comme à la Bourse, oscillant selon l’offre et la demande, la femme apportant dans le couple sa beauté et l’homme son argent.
Nous entendons des musiques de variété à d’autres reprises (Michel Berger, Michel Fugain, Carla Bruni) et à chaque fois, elles sont chantées par les personnages. Leur message est ainsi transmis via les paroles des chansons. Ils chantent donc leur essence, ce à quoi ils s’identifient.
En tant que spectateur, ces enchaînements soudains de période et de style musicaux (différents voire même opposés), bousculent et déstabilisent. On secouait la tête en rythme puis on s’arrête brutalement. On doute sur le mélange réalisé. Cependant, tout choix a ses raisons et dans “La crème de la crème”, le mélange des styles musicaux, permettent aussi d’une certaine façon de comprendre les personnages, leurs mœurs et d’accéder à leur état d’esprit, à leurs doutes aussi. La musique choisie nous montre l’époque qui est retranscrite par l’image (soirée étudiante et musique actuelle) ou par les comportements et paroles (les personnages chantent ce à quoi ils s’identifient). De l’oreille jusqu’à l’esprit, ce que nous entendons et ce que nous voyons, se lie : d’apparence actuelle mais qui, intrinsèquement, est ancré dans le passé, la tradition et une certaine forme de fatalité.
Un générique qui fait office de trait d’union
Dernière musique du film, “L’amour et la violence (Boys Noize Main Version)” de Sébastien Tellier est la seule à ne pas être liée à une scène mais à l’ensemble du film puisque, apposée au générique, elle est, de la même manière que son style musical, une fusion du passé et du présent, de la part de l’apparence et de la vérité chez Kelliah, Dan et Louis.
Le détail en +
Toutes les chansons de La crème de la crème sont des chansons d’artistes français. Le patriotisme est présent à l’oreille comme à l’écran, ce qui ancre la problématique du film sur le territoire français puisqu’il s’agit en effet de nous parler des mythes qui circulent sur le milieu particulier des grandes écoles de commerce parisiennes, dites “la crème de la crème”.
La Crème de la crème, de Kim Chapiron (2014) avec Thomas Blumenthal, Alice Isaaz, Jean-Baptiste Lafarge…