Un aplat de jaune, « Ebola » en lettres noires au centre de l’image, la photo d’une personne en combinaison de protection : non, ce n’est pas la description de l’affiche du prochain film de Steven Soderbergh, mais la couverture de L’Obs nouvelle formule, de cette semaine.
Le parti pris graphique, en rupture avec les codes traditionnels de la couverture attendue d’un hebdomadaire d’information générale, ne pouvait qu’attirer notre attention :
Les couleurs d’abord : jaune et noir. Ici, ce sont les couleurs du virus Ebola, de sa propagation et, par extension, du malade. Là, dans Breaking Bad notamment, ce sont des marqueurs de toxicité. On en oublierait presque qu’Ebola est une maladie qui se transmet par les sécrétions du malade. Le virus représenté ainsi deviendrait une sorte de gaz, une matière diffuse, insaisissable qui pourrait tout envahir.
La mise en page ensuite : la photo de cette personne en combinaison se fond dans le jaune de l’ensemble pour renforcer l’effet dramatique du sous-titre : « la course contre la mort ». Comprendre : le virus se propage sans limites, il est de plus en plus menaçant. Le danger est partout. Même la mention du lieu du reportage, « Guinée », ne vient pas contredire cette impression générale de décontextualisation et d’absence de temporalité de l’image.
Le storytelling enfin : nous sommes ainsi bien plus en présence des codes de la fiction – cinéma, série, littérature – que de l’information – à l’exception du mot « reportage », dont les frontières avec le récit sont, au moins depuis Baltimore de David Simon, journaliste devenu scénariste de séries, de plus en plus floues.
C’est en somme un nouveau contrat de lecture que nous propose la nouvelle formule de L’Obs. Par cette couverture, l’hebdomadaire préfère jouer sur les ressorts d’une émotion mise en récit plutôt que sur ceux de l’information. Place donc à la narration qui, comme le confirme la lecture de l’article de Natacha Tatu (au demeurant très intéressant), se focalisera d’abord sur une ambiance – « L’ambulance est arrivée à la nuit tombée » -, sur des héros – « Au contact des malades depuis six mois, six jours sur sept, dès 7h30 du matin, la jeune femme dégage une énergie rare, malgré la fatigue et la chaleur » -, sur un ennemi qu’il faut combattre – « Parce qu’il y a la mort, bien sûr. Violente, soudaine, quotidienne, elle emporte plus d’un malade sur deux ». Bref, tous les éléments d’un récit anxiogène pour un journal qui, en abandonnant l’adjectif « nouvel », entend s’affirmer comme l’un des observateurs majeurs d’un monde aujourd’hui moins fasciné par les informations qu’on peut lui rapporter que par les histoires qu’on veut lui raconter.